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Peut-on se fier aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé ?

À une époque où de nouvelles thérapies émergent dans le domaine de la psychologie, il devient essentiel de se baser sur des études scientifiques solides pour choisir la meilleure approche de traitement. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) joue un rôle clé dans l’amélioration de la qualité des pratiques dans les domaines de la santé, du social et du médico-social. Elle évalue les dispositifs médicaux et fournit des recommandations pour de bonnes pratiques professionnelles. L’objectif principal de la HAS est d’accroître la qualité et la sécurité des soins. C’est une autorité publique indépendante qui, dans divers domaines, a élaboré plus de 130 recommandations, couvrant des sujets allant de la prévention vasculaire après un infarctus aux manifestations dépressives à l’adolescence, en passant par la boulimie et l’hyperphagie. Ces recommandations visent à aider les professionnels de la santé et les usagers à prendre des décisions éclairées dans leurs parcours de soins. Toutes les recommandations, y compris les textes complets, les arguments, les synthèses et les documents de travail, sont disponibles en ligne gratuitement, quel que soit le sujet.

D’après la HAS, les recommandations de bonnes pratiques (RBP) sont des propositions visant à améliorer la qualité des interventions et de l’accompagnement fournis par les professionnels d’un secteur donné. Elles ont pour but de refléter le consensus qui existe autour de l’état actuel des connaissances et de l’art dans ce domaine à un moment donné. Leur objectif est donc de mettre en lumière ce consensus en s’appuyant sur des preuves issues de la littérature scientifique, dans une démarche d’amélioration continue de la prise en charge. En conséquence, elles facilitent la prise de décision en matière de choix de soins, tout en harmonisant les pratiques. De plus, elles contribuent à réduire le recours à des traitements inutiles ou risqués, ainsi que les interruptions dans les parcours de soins (https://www.has-sante.fr/jcms/c_452559/fr/la-has-en-bref).

Cependant, il existe des critiques qui suggèrent que la HAS émet des avis subjectifs et que ses recommandations de bonnes pratiques ne sont pas toujours neutres sur le plan scientifique. Il est donc nécessaire d’examiner de près ces arguments pour évaluer dans quelle mesure nous pouvons avoir confiance en ces recommandations de bonnes pratiques, que ce soit dans le cadre de la pratique professionnelle ou dans le choix d’une prise en charge. Cet article vise à comprendre la réalisation d’une RBP en détaillant le processus de création.

L’élaboration de RBP respecte plusieurs principes (HAS, 2020) :

  • Les données issues de la littérature scientifique sont analysées de manière critique.
  • Les personnes et les professionnels concernés par les RBP sont associés tout au long du processus d’élaboration.
  • Les conflits d’intérêts des experts aux groupes de travail sont contrôlés selon une procédure interne.
  • Les méthodes et les sources utilisées, la composition des groupes de travail, des groupes de lecture ainsi que la liste des parties prenantes consultées et des personnes auditionnées sont consultables en toutes transparences.

1. Phase de saisine (HAS, 2020)

Les saisines d’un sujet de RBP peuvent être demandées par les directions centrales du ministère de Solidarités et de la Santé, des organisations professionnelles et des associations du secteur médico-social ou avec une auto-saisine. La faisabilité de la demande et sa priorité sont évaluées à partir de différents critères :

  • Il existe une possibilité d’améliorer les pratiques selon les parties prenantes (représentants institutionnels, représentants des professionnels et des personnes concernées).
  • Il y a une évolution dans le domaine visé comme des changements de cadre théorique ou des problématiques émergentes.
  • La RBP aura un effet sur la qualité de vie, de l’accompagnement et la réduction des inégalités de nombreuses personnes.
  • Il n’y a pas encore de RBP sur le sujet.
  • Suffisamment de littérature est disponible pour élaborer ces recommandations.

2. Phase de cadrage (HAS, 2020)

Les objectifs de la phase de cadrage sont essentiels pour les RBP car ils permettent de préciser le sujet et les enjeux en déterminant les pratiques et publics concernés ainsi que les thématiques retenues vs. exclus. Ils ont pour but de déterminer les objectifs des travaux, leurs destinataires principaux et secondaires et les questions auxquelles ils devront répondre.

La HAS désigne un ou des chargés de projet et précise la composition des groupes de travail (de pilotage, de cotation et de lecture). Le groupe de travail est multidisciplinaire et peut regrouper autant des psychiatres que des enseignants, des chercheurs ou des cadres médico-éducatifs avec des modes d’exercice différents. Des représentants d’usagers sont aussi sollicités. La HAS veille aux conflits d’intérêt financiers, intellectuels ou d’école lors de la création de ce groupe de travail.

Lorsque le sujet est choisi des éléments et données sont recueillis par l’équipe-projet afin d’explorer ses différents aspects et enjeux. Notamment :

  • L’importance de la situation, ses attentes, besoins et droits de la population concernée et des professionnels.
  • La prise en compte d’éventuels dissensus, controverses et conflits d’intérêts qu’ils soient financiers, intellectuels ou d’école.
  • Les parties prenantes concernées.
  • La nature et la quantité des données de la littérature disponible afin de voir si elle est susceptible de répondre aux questions envisagées.

La méthode de travail est ensuite choisie. Soit la méthode recommandation pour la pratique clinique est utilisée soit la méthode recommandations par consensus formalisé. Cette seconde méthode est réalisée quand il y a une absence ou insuffisance de la littérature de fort niveau de preuves scientifiques, une hétérogénéité des situations cliniques et une controverse sur le sujet. 

Nous détaillerons d’abord la “Méthode recommandation pour la pratique clinique” puis la “Méthode recommandation par consensus formalisé”.

3. Méthodes d’élaboration (HAS, 2020; HAS, 2010)

3.1 Méthode recommandation pour la pratique clinique (ou méthode consensus simple)

Le déroulement de la méthode est scindé en quatre phases : la revue systématique de la littérature, la rédaction de la version initiale des recommandations, la lecture et la finalisation.

3.1.1 Revue systématique de la littérature (HAS, 2020)

Le(s) chargé(s) de projet et le groupe de travail réalisent une recherche bibliographique systématisée et structurée à l’aide de mots clés, de banques de données… Une analyse critique et une synthèse sont établies selon un argumentaire scientifique. Il est apparié selon un niveau de preuves afin de proposer une liste de recommandations.

Tableau regroupant les différents niveaux de preuves

3.1.2 Rédaction de la version initiale des recommandations (HAS, 2020)

Le groupe de travail, composé de 15 à 20 personnes, se réunit pendant 2 réunions (ou plus si nécessaire) afin de discuter de l’argumentaire et des propositions de la revue de littérature. Les niveaux de preuves et le grade attribué aux propositions sont ainsi discutés et de nouveaux apports à la revue de littérature sont ajoutés si nécessaire. L’argumentaire qui en ressort correspond à la version initiale des recommandations. En l’absence de preuve scientifique, une proposition peut être adoptée si 80% des membres du groupe de travail l’approuvent (notion d’accords d’experts).

3.1.3 Lecture et la finalisation (HAS, 2020)

Le groupe de lecture, composé de 30 à 50 personnes, remplit un questionnaire numérique individuel à partir de l’argumentaire et des recommandations initiales. La cotation s’étalonne de 1 (désaccord total) à 9 (accord total). Si une cotation est notée inférieure à 5, l’argumentaire est à fournir. Par la suite, les retours des questionnaires sont analysés et les arguments peuvent être modifiés en conséquence.

3.1.4 Phase de finalisation (HAS, 2020)

Les cotations et commentaires du groupe de lecture sont analysés et discutés par le groupe de travail. Une modification des recommandations est alors effectuée, autant sur le fond que sur la forme, un argumentaire scientifique et des fiches de synthèse sont produits avant une validation et diffusion par la HAS.

3.2 Méthode recommandation par consensus formalisé (HAS, 2020)

Cette seconde méthode est réalisée quand il y a une absence ou insuffisance de la littérature de fort niveau de preuves scientifiques, une hétérogénéité des situations cliniques ou une controverse sur le sujet. C’est cette méthode qui a été utilisée par la HAS pour réaliser les RBP sur l’autisme. Cette méthode de consensus permet de parvenir à un accord entre experts consistant à évaluer progressivement les points sur lesquels ils sont d’accord en utilisant une notation répétée plusieurs fois. On identifie ainsi les points où ils se rejoignent pour ensuite les utiliser comme base pour formuler des recommandations. On repère aussi les points sur lesquels ils ne sont pas d’accord ou ne sont pas sûrs. Trois groupes sont sollicités pour cette méthode :

  • Un groupe de pilotage (6 à 8 personnes)
  • Un groupe de cotation (9 à 15 personnes)
  • Un groupe de lecture (30 à 50 personnes)

3.2.1 Phase de revue systématique de la littérature par le groupe de pilotage (HAS, 2020)

Une recherche bibliographique systématisée et structurée est réalisée de la même façon que par la méthode de recommandation pour la pratique clinique. Une analyse critique et une synthèse sont produites accompagnées d’un argumentaire scientifique. Des propositions sont ensuite créées à partir de cette analyse. Elles peuvent être complémentaires ou contradictoires car tous les avis du groupe sont pris en compte. Il n’y a pas de recherche de consensus au cours des réunions du groupe de pilotage.

3.2.2 Phase de cotation par le groupe de cotation (HAS, 2020)

Une première cotation est effectuée par un questionnaire en ligne suivi d’une réunion de discussion. S’ensuit une deuxième cotation par questionnaire en ligne puis sont sélectionnées les propositions faisant consensus.

3.2.3 Phase de rédaction, de lecture et de finalisation (HAS, 2020)

Ces phases sont identiques à la méthode de recommandation pour la pratique clinique.

4. La RBP sur l’autisme et les autres troubles envahissants du développement

La RBP sur l’autisme avait été réalisée en 2012 par la HAS et avait suscité de nombreux débats comme en témoignaient les journaux de l’époque (Express, 2012 ; Sud-ouest, 2012; L’obs, 2012). Elles visaient à répondre aux méthodes adéquates pour accompagner les enfants autistes. La méthode de recommandation par consensus formalisée a été utilisée pour la réalisation de cette RBP. Ce travail avait vite pris une dimension politique dans l’espace public. Deux écoles de pensée s’affrontaient : d’une part les tenants de la psychanalyse et d’autre part ceux des méthodes éducatives et comportementales.

Les critiques principales de ces recommandations appuyaient le fait que les travaux de la RBP ne devaient pas émaner “des « experts » de l’HAS, mais d’une prise de parole active de tous ceux qui se sentent concernés dans leur vie : soignants, patients et familles” (https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3664). Or nous avons vu que les différents groupes de travail sont créés en veillant aux conflits d’intérêt. Le groupe de travail est multidisciplinaire et regroupe différents profils. Dans la note de cadrage, le rapport d’analyse du groupe de lecture et le rapport d’analyse du comité d’organisation on peut voir des soignants (médecin, psychiatre, orthophoniste, pédiatre), des familles (par des représentants d’usagers qui regroupent des associations, des parents ou personnes TSA). Les professionnels du comité d’organisation et du groupe de lecture avaient aussi bien une orientation psychanalytique qu’éducative et comportementale. Tous les avis étaient représentés. Les experts de la HAS le sont par leurs compétences sur le sujet et non pas par une étiquette, et sont désignés en tenant compte des conflits d’intérêt financiers, intellectuels ou d’école (HAS, 2012; HAS, 2011; HAS, 2010a).

Une autre critique serait l’absence de consensus de la psychanalyse pour la prise en charge de l’autisme (https://evah5.fr/autisme-reflexions-references-suite/#more-2283). Les tenants de cette critique soulignent le fait que la HAS s’appuie sur l’absence de données pour proposer cette recommandation. Pourtant, des congrès, publications et notes cliniques existent. La littérature utilisée par la HAS est utilisée en fonction de son niveau de preuve (voir tableau regroupant les différents niveaux de preuves). Les congrès et publications ne sont pas recevables pour produire une recommandation et ne se situent pas dans ce tableau de niveau de preuves. Les notes cliniques correspondent au niveau de preuves 4 et ne sont donc pas suffisantes pour produire un argumentaire scientifique au vu d’une recommandation (HAS, 2020). Les thérapies ou techniques d’interventions doivent être évaluées pour tester leur efficacité (voir les articles “Les psychothérapies sont-elles évaluables” ou “Dans l’autisme, tout ne marche pas” pour aller plus loin).

Au vu des documents de production des RBP, les arguments énonçant que la HAS ne se base pas sur une neutralité scientifique et est le résultat d’un travail subjectif ne sont pas recevables. La question n’est évidemment pas de savoir si les RBP de la HAS sont critiquables. Elles le sont bien évidemment comme tout travail scientifique (ce qui pourra être discuté dans un prochain article), mais encore faut-il le faire avec des arguments valables afin d’avoir une critique construite.

Sources :

Autisme : la psychanalyse désavouée par la Haute Autorité de santé. (2012, 13 février). L’Express. https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/autisme-la-psychanalyse-desavouee-par-la-haute-autorite-de-sante_1081840.html

Castéra, I. (2012, 4 mai). L’autisme et les psychanalystes. SudOuest.fr. https://www.sudouest.fr/gironde/talence/l-autisme-et-les-psychanalystes-9288772.php

Des, C. (s. d.). >Appel pour des assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social | Quelle hospitalité pour la folie ?  https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3664

Evah. (2014). Autisme / Réflexions, références (suite). le blog d’Evah5. https://evah5.fr/autisme-reflexions-references-suite/#more-2283

Haute Autorité de Santé. (2012). Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent Argumentaire. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

Haute Autorité de Santé. (2020). Guide méthodologique : Recommandations de bonnes pratiques professionnelles pour le secteur social et médico-social. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3229902/fr/recommandations-de-bonnes-pratiques-professionnelles-pour-le-secteur-social-et-medico-social

Haute Autorité de Santé. (2010). Élaboration de recommandations de bonne pratique Méthode « Recommandations pour la pratique clinique » . https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-02/reco363_gm_rbp_maj_janv_2020_cd_2020_01_22_v0.pdf

Haute Autorité de Santé. (2010a). Recommandations de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du  développement : programmes et interventions chez  l’enfant et l’adolescent » Note de cadrage. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

Haute Autorité de Santé. (2011). Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées  chez l’enfant et l’adolescent Rapport d’analyse du groupe de lecture. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

La HAS en bref. (s. d.). Haute Autorité de Santé. https://www.has-sante.fr/jcms/c_452559/fr/la-has-en-bref

L’Obs. (2012, 9 mars). Autisme et psychanalyse : le scandale enfin mis au jour. L’Obs. https://www.nouvelobs.com/societe/20120308.OBS3336/autisme-et-psychanalyse-le-scandale-enfin-mis-au-jour.html