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Peut-on se fier aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé ?

À une époque où de nouvelles thérapies émergent dans le domaine de la psychologie, il devient essentiel de se baser sur des études scientifiques solides pour choisir la meilleure approche de traitement. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) joue un rôle clé dans l’amélioration de la qualité des pratiques dans les domaines de la santé, du social et du médico-social. Elle évalue les dispositifs médicaux et fournit des recommandations pour de bonnes pratiques professionnelles. L’objectif principal de la HAS est d’accroître la qualité et la sécurité des soins. C’est une autorité publique indépendante qui, dans divers domaines, a élaboré plus de 130 recommandations, couvrant des sujets allant de la prévention vasculaire après un infarctus aux manifestations dépressives à l’adolescence, en passant par la boulimie et l’hyperphagie. Ces recommandations visent à aider les professionnels de la santé et les usagers à prendre des décisions éclairées dans leurs parcours de soins. Toutes les recommandations, y compris les textes complets, les arguments, les synthèses et les documents de travail, sont disponibles en ligne gratuitement, quel que soit le sujet.

D’après la HAS, les recommandations de bonnes pratiques (RBP) sont des propositions visant à améliorer la qualité des interventions et de l’accompagnement fournis par les professionnels d’un secteur donné. Elles ont pour but de refléter le consensus qui existe autour de l’état actuel des connaissances et de l’art dans ce domaine à un moment donné. Leur objectif est donc de mettre en lumière ce consensus en s’appuyant sur des preuves issues de la littérature scientifique, dans une démarche d’amélioration continue de la prise en charge. En conséquence, elles facilitent la prise de décision en matière de choix de soins, tout en harmonisant les pratiques. De plus, elles contribuent à réduire le recours à des traitements inutiles ou risqués, ainsi que les interruptions dans les parcours de soins (https://www.has-sante.fr/jcms/c_452559/fr/la-has-en-bref).

Cependant, il existe des critiques qui suggèrent que la HAS émet des avis subjectifs et que ses recommandations de bonnes pratiques ne sont pas toujours neutres sur le plan scientifique. Il est donc nécessaire d’examiner de près ces arguments pour évaluer dans quelle mesure nous pouvons avoir confiance en ces recommandations de bonnes pratiques, que ce soit dans le cadre de la pratique professionnelle ou dans le choix d’une prise en charge. Cet article vise à comprendre la réalisation d’une RBP en détaillant le processus de création.

L’élaboration de RBP respecte plusieurs principes (HAS, 2020) :

  • Les données issues de la littérature scientifique sont analysées de manière critique.
  • Les personnes et les professionnels concernés par les RBP sont associés tout au long du processus d’élaboration.
  • Les conflits d’intérêts des experts aux groupes de travail sont contrôlés selon une procédure interne.
  • Les méthodes et les sources utilisées, la composition des groupes de travail, des groupes de lecture ainsi que la liste des parties prenantes consultées et des personnes auditionnées sont consultables en toutes transparences.

1. Phase de saisine (HAS, 2020)

Les saisines d’un sujet de RBP peuvent être demandées par les directions centrales du ministère de Solidarités et de la Santé, des organisations professionnelles et des associations du secteur médico-social ou avec une auto-saisine. La faisabilité de la demande et sa priorité sont évaluées à partir de différents critères :

  • Il existe une possibilité d’améliorer les pratiques selon les parties prenantes (représentants institutionnels, représentants des professionnels et des personnes concernées).
  • Il y a une évolution dans le domaine visé comme des changements de cadre théorique ou des problématiques émergentes.
  • La RBP aura un effet sur la qualité de vie, de l’accompagnement et la réduction des inégalités de nombreuses personnes.
  • Il n’y a pas encore de RBP sur le sujet.
  • Suffisamment de littérature est disponible pour élaborer ces recommandations.

2. Phase de cadrage (HAS, 2020)

Les objectifs de la phase de cadrage sont essentiels pour les RBP car ils permettent de préciser le sujet et les enjeux en déterminant les pratiques et publics concernés ainsi que les thématiques retenues vs. exclus. Ils ont pour but de déterminer les objectifs des travaux, leurs destinataires principaux et secondaires et les questions auxquelles ils devront répondre.

La HAS désigne un ou des chargés de projet et précise la composition des groupes de travail (de pilotage, de cotation et de lecture). Le groupe de travail est multidisciplinaire et peut regrouper autant des psychiatres que des enseignants, des chercheurs ou des cadres médico-éducatifs avec des modes d’exercice différents. Des représentants d’usagers sont aussi sollicités. La HAS veille aux conflits d’intérêt financiers, intellectuels ou d’école lors de la création de ce groupe de travail.

Lorsque le sujet est choisi des éléments et données sont recueillis par l’équipe-projet afin d’explorer ses différents aspects et enjeux. Notamment :

  • L’importance de la situation, ses attentes, besoins et droits de la population concernée et des professionnels.
  • La prise en compte d’éventuels dissensus, controverses et conflits d’intérêts qu’ils soient financiers, intellectuels ou d’école.
  • Les parties prenantes concernées.
  • La nature et la quantité des données de la littérature disponible afin de voir si elle est susceptible de répondre aux questions envisagées.

La méthode de travail est ensuite choisie. Soit la méthode recommandation pour la pratique clinique est utilisée soit la méthode recommandations par consensus formalisé. Cette seconde méthode est réalisée quand il y a une absence ou insuffisance de la littérature de fort niveau de preuves scientifiques, une hétérogénéité des situations cliniques et une controverse sur le sujet. 

Nous détaillerons d’abord la “Méthode recommandation pour la pratique clinique” puis la “Méthode recommandation par consensus formalisé”.

3. Méthodes d’élaboration (HAS, 2020; HAS, 2010)

3.1 Méthode recommandation pour la pratique clinique (ou méthode consensus simple)

Le déroulement de la méthode est scindé en quatre phases : la revue systématique de la littérature, la rédaction de la version initiale des recommandations, la lecture et la finalisation.

3.1.1 Revue systématique de la littérature (HAS, 2020)

Le(s) chargé(s) de projet et le groupe de travail réalisent une recherche bibliographique systématisée et structurée à l’aide de mots clés, de banques de données… Une analyse critique et une synthèse sont établies selon un argumentaire scientifique. Il est apparié selon un niveau de preuves afin de proposer une liste de recommandations.

Tableau regroupant les différents niveaux de preuves

3.1.2 Rédaction de la version initiale des recommandations (HAS, 2020)

Le groupe de travail, composé de 15 à 20 personnes, se réunit pendant 2 réunions (ou plus si nécessaire) afin de discuter de l’argumentaire et des propositions de la revue de littérature. Les niveaux de preuves et le grade attribué aux propositions sont ainsi discutés et de nouveaux apports à la revue de littérature sont ajoutés si nécessaire. L’argumentaire qui en ressort correspond à la version initiale des recommandations. En l’absence de preuve scientifique, une proposition peut être adoptée si 80% des membres du groupe de travail l’approuvent (notion d’accords d’experts).

3.1.3 Lecture et la finalisation (HAS, 2020)

Le groupe de lecture, composé de 30 à 50 personnes, remplit un questionnaire numérique individuel à partir de l’argumentaire et des recommandations initiales. La cotation s’étalonne de 1 (désaccord total) à 9 (accord total). Si une cotation est notée inférieure à 5, l’argumentaire est à fournir. Par la suite, les retours des questionnaires sont analysés et les arguments peuvent être modifiés en conséquence.

3.1.4 Phase de finalisation (HAS, 2020)

Les cotations et commentaires du groupe de lecture sont analysés et discutés par le groupe de travail. Une modification des recommandations est alors effectuée, autant sur le fond que sur la forme, un argumentaire scientifique et des fiches de synthèse sont produits avant une validation et diffusion par la HAS.

3.2 Méthode recommandation par consensus formalisé (HAS, 2020)

Cette seconde méthode est réalisée quand il y a une absence ou insuffisance de la littérature de fort niveau de preuves scientifiques, une hétérogénéité des situations cliniques ou une controverse sur le sujet. C’est cette méthode qui a été utilisée par la HAS pour réaliser les RBP sur l’autisme. Cette méthode de consensus permet de parvenir à un accord entre experts consistant à évaluer progressivement les points sur lesquels ils sont d’accord en utilisant une notation répétée plusieurs fois. On identifie ainsi les points où ils se rejoignent pour ensuite les utiliser comme base pour formuler des recommandations. On repère aussi les points sur lesquels ils ne sont pas d’accord ou ne sont pas sûrs. Trois groupes sont sollicités pour cette méthode :

  • Un groupe de pilotage (6 à 8 personnes)
  • Un groupe de cotation (9 à 15 personnes)
  • Un groupe de lecture (30 à 50 personnes)

3.2.1 Phase de revue systématique de la littérature par le groupe de pilotage (HAS, 2020)

Une recherche bibliographique systématisée et structurée est réalisée de la même façon que par la méthode de recommandation pour la pratique clinique. Une analyse critique et une synthèse sont produites accompagnées d’un argumentaire scientifique. Des propositions sont ensuite créées à partir de cette analyse. Elles peuvent être complémentaires ou contradictoires car tous les avis du groupe sont pris en compte. Il n’y a pas de recherche de consensus au cours des réunions du groupe de pilotage.

3.2.2 Phase de cotation par le groupe de cotation (HAS, 2020)

Une première cotation est effectuée par un questionnaire en ligne suivi d’une réunion de discussion. S’ensuit une deuxième cotation par questionnaire en ligne puis sont sélectionnées les propositions faisant consensus.

3.2.3 Phase de rédaction, de lecture et de finalisation (HAS, 2020)

Ces phases sont identiques à la méthode de recommandation pour la pratique clinique.

4. La RBP sur l’autisme et les autres troubles envahissants du développement

La RBP sur l’autisme avait été réalisée en 2012 par la HAS et avait suscité de nombreux débats comme en témoignaient les journaux de l’époque (Express, 2012 ; Sud-ouest, 2012; L’obs, 2012). Elles visaient à répondre aux méthodes adéquates pour accompagner les enfants autistes. La méthode de recommandation par consensus formalisée a été utilisée pour la réalisation de cette RBP. Ce travail avait vite pris une dimension politique dans l’espace public. Deux écoles de pensée s’affrontaient : d’une part les tenants de la psychanalyse et d’autre part ceux des méthodes éducatives et comportementales.

Les critiques principales de ces recommandations appuyaient le fait que les travaux de la RBP ne devaient pas émaner “des « experts » de l’HAS, mais d’une prise de parole active de tous ceux qui se sentent concernés dans leur vie : soignants, patients et familles” (https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3664). Or nous avons vu que les différents groupes de travail sont créés en veillant aux conflits d’intérêt. Le groupe de travail est multidisciplinaire et regroupe différents profils. Dans la note de cadrage, le rapport d’analyse du groupe de lecture et le rapport d’analyse du comité d’organisation on peut voir des soignants (médecin, psychiatre, orthophoniste, pédiatre), des familles (par des représentants d’usagers qui regroupent des associations, des parents ou personnes TSA). Les professionnels du comité d’organisation et du groupe de lecture avaient aussi bien une orientation psychanalytique qu’éducative et comportementale. Tous les avis étaient représentés. Les experts de la HAS le sont par leurs compétences sur le sujet et non pas par une étiquette, et sont désignés en tenant compte des conflits d’intérêt financiers, intellectuels ou d’école (HAS, 2012; HAS, 2011; HAS, 2010a).

Une autre critique serait l’absence de consensus de la psychanalyse pour la prise en charge de l’autisme (https://evah5.fr/autisme-reflexions-references-suite/#more-2283). Les tenants de cette critique soulignent le fait que la HAS s’appuie sur l’absence de données pour proposer cette recommandation. Pourtant, des congrès, publications et notes cliniques existent. La littérature utilisée par la HAS est utilisée en fonction de son niveau de preuve (voir tableau regroupant les différents niveaux de preuves). Les congrès et publications ne sont pas recevables pour produire une recommandation et ne se situent pas dans ce tableau de niveau de preuves. Les notes cliniques correspondent au niveau de preuves 4 et ne sont donc pas suffisantes pour produire un argumentaire scientifique au vu d’une recommandation (HAS, 2020). Les thérapies ou techniques d’interventions doivent être évaluées pour tester leur efficacité (voir les articles “Les psychothérapies sont-elles évaluables” ou “Dans l’autisme, tout ne marche pas” pour aller plus loin).

Au vu des documents de production des RBP, les arguments énonçant que la HAS ne se base pas sur une neutralité scientifique et est le résultat d’un travail subjectif ne sont pas recevables. La question n’est évidemment pas de savoir si les RBP de la HAS sont critiquables. Elles le sont bien évidemment comme tout travail scientifique (ce qui pourra être discuté dans un prochain article), mais encore faut-il le faire avec des arguments valables afin d’avoir une critique construite.

Sources :

Autisme : la psychanalyse désavouée par la Haute Autorité de santé. (2012, 13 février). L’Express. https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/autisme-la-psychanalyse-desavouee-par-la-haute-autorite-de-sante_1081840.html

Castéra, I. (2012, 4 mai). L’autisme et les psychanalystes. SudOuest.fr. https://www.sudouest.fr/gironde/talence/l-autisme-et-les-psychanalystes-9288772.php

Des, C. (s. d.). >Appel pour des assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social | Quelle hospitalité pour la folie ?  https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=3664

Evah. (2014). Autisme / Réflexions, références (suite). le blog d’Evah5. https://evah5.fr/autisme-reflexions-references-suite/#more-2283

Haute Autorité de Santé. (2012). Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent Argumentaire. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

Haute Autorité de Santé. (2020). Guide méthodologique : Recommandations de bonnes pratiques professionnelles pour le secteur social et médico-social. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3229902/fr/recommandations-de-bonnes-pratiques-professionnelles-pour-le-secteur-social-et-medico-social

Haute Autorité de Santé. (2010). Élaboration de recommandations de bonne pratique Méthode « Recommandations pour la pratique clinique » . https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-02/reco363_gm_rbp_maj_janv_2020_cd_2020_01_22_v0.pdf

Haute Autorité de Santé. (2010a). Recommandations de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du  développement : programmes et interventions chez  l’enfant et l’adolescent » Note de cadrage. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

Haute Autorité de Santé. (2011). Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées  chez l’enfant et l’adolescent Rapport d’analyse du groupe de lecture. https://www.has-sante.fr/jcms/c_953959/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-interventions-educatives-et-therapeutiques-coordonnees-chez-l-enfant-et-l-adolescent

La HAS en bref. (s. d.). Haute Autorité de Santé. https://www.has-sante.fr/jcms/c_452559/fr/la-has-en-bref

L’Obs. (2012, 9 mars). Autisme et psychanalyse : le scandale enfin mis au jour. L’Obs. https://www.nouvelobs.com/societe/20120308.OBS3336/autisme-et-psychanalyse-le-scandale-enfin-mis-au-jour.html

La psychologie positive

Postulats théoriques

La psychologie positive est “l’étude scientifique (et l’application scientifiquement guidée) des facteurs et processus qui amènent les individus et organisations à se développer et à atteindre leur plein potentiel”  (Gable & Haidt, 2005, p.103). Issue du courant humaniste, elle vise à cultiver les sentiments, cognitions ou comportements positifs (Sin & Lyubomirsky, 2009) en utilisant des stratégies visant à améliorer le bien-être et en s’appuyant sur des théories et recherches empiriques (Schueller et Parks, 2014 ; Schueller, Kashdan et Parks, 2014 cité dans Martin-Krumm & Tarquinio, 2019). La psychologie positive se réclame issue d’une approche scientifique qui propose une compréhension dimensionnelle du concept de ressources positives en élargissant la portée de la psychologie clinique traditionnelle. La psychologie positive ne vise pas à la remplacer, mais à développer un champ de recherche avec un point de vue différent afin d’appréhender au mieux les troubles mentaux (Martin-Krumm & Tarquinio, 2019). En effet l’épanouissement individuel est appréhendé selon des forces et vertus qui ont des intensités différentes selon les individus et qui permettent d’augmenter le bien-être. La psychologie positive étudie ce qui augmente le bonheur et l’épanouissement personnel chez l’individu et non pas la souffrance et la réduction des symptômes. Son champ de recherche se concentre sur l’épanouissement individuel, orienté selon trois axes. Le premier étudie les expériences subjectives ressenties comme positives par l’individu. On peut avoir des expériences liées au passé (comme le contentement et la satisfaction) et des expériences optimales (comme l’espoir et l’optimisme). Le second axe se concentre sur les qualités individuelles positives telle que les capacités relationnelles, la créativité ou le courage. Enfin le dernier axe fait référence à la compréhension des institutions qui favorisent le développement de l’altruisme ou du sens des responsabilités à partir d’un point de vue plus larges en se référant à des communautés ou des sociétés (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000). Deux éléments sont à prendre en compte dans la notion de bien-être : les perspectives hédoniques qui sont des expériences d’états affectifs plaisants sur le court terme, et les perspectives eudémoniques qui sont une réalisation du plein potentiel du bien-être sur le long terme (Martin-Krumm & Tarquinio, 2019).

La psychologie positive vise à aborder, prévenir et/ou soigner les troubles mentaux sous une approche qui développe les ressources psychologiques d’un individu par les émotions positives, le bien-être et le sens de la vie plutôt qu’en visant directement une réduction des symptômes. Les ressources psychologiques sont des facteurs protecteurs internes qui facilitent la résistance à l’adversité et l’adaptation psychologique dans les situations de la vie ; ces facteurs sont à considérer sur le long terme (Bernard et al., 2011). Ces prédispositions internes inhérentes à une personne réduisent l’effet des facteurs stressants en permettant à l’individu de maintenir ses compétences dans des situations de détresse. Les ressources environnementales extérieures, comme le soutien social, peuvent aussi jouer ce rôle. Les ressources psychologiques les plus étudiées et citées dans la littérature scientifique à ce jour sont l’auto-efficacité, la disposition à l’attention consciente, le sens (sens of meaning) et la bienveillance envers soi (Csillik, 2017). Une disposition psychologique stable peut être considérée comme une ressource psychologique si elle remplit plusieurs critères. Tout d’abord elle doit protéger contre le stress et la psychopathologie dans les situations difficiles tout en contribuant à la satisfaction de vie et au niveau de bien-être individuel. Elle est mesurable, évaluée et identifiée de manière objective en tant que différence interindividuelle et il s’agit d’un trait stable. Enfin elle peut être modifiée par une intervention psychologique et ces ressources, une fois activées, peuvent être réactivées facilement selon la situation.

De manière générale, les interventions en psychologie positive ont pour objectif d’améliorer le bonheur (Seligman et al., 2005). Ce terme générique peut être défini en trois composantes :

  • Le plaisir et les émotions positives qui sont regroupés dans un plaisir général de la vie.
  • L’engagement qui fait référence à une vie active dans lequel l’individu s’engage
  • Le sens de l’existencequi se définit comme le sens que l’individu donne à sa vie.

La psychologie positive intègre la théorie des émotions positives de Fredrickson (2004) qui stipule que les émotions positives ont deux processus caractéristiques : l’élargissement et la construction. Elle intègre aussi d’autres domaines comme la gratitude, la passion, la croissance post traumatique (Csillik, 2017), les forces de caractère (Seligman et al., 2005) et le flow (Nakamura & Csikszentmihalyi, 2002). 

Le premier processus fait référence au fait que ressentir des émotions positives permet d’élargir le répertoire de ses actions et de ses idées en facilitant la relecture et la réinterprétation de ces comportements ou en initiant de nouveaux patterns comportementaux (Bernard et al., 2011). Les émotions positives tendent aussi à annuler les effets des émotions négatives aussi bien au niveau psychologique que physiologique (L. Fredrickson & Levenson, 1998, Fredrickson et al., 2003). Cet élargissement du répertoire d’actions, des ressources individuelles et des émotions positives s’influencent réciproquement. Ce processus de spirale positive contribue à l’amélioration du bien-être individuel simultanément à un accroissement des compétences permettant de faire face à l’adversité (Tugade & Fredrickson, 2007).

Le second processus, la construction, vient à la suite de l’élargissement par le développement de nouvelles ressources individuelles dans des domaines aussi bien psychologiques, intellectuels, sociaux que physiques (Bernard et al., 2011).

Le Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification (CSV), de Peterson et Seligman (2004), décrit et classifie les forces et les vertus de caractère qui promeuvent l’épanouissement humain (Seligman et al., 2005). 24 forces de caractère ont été répertoriées et classifiées dans 6 catégories de vertu. Plus précisément, les forces de caractère sont des modes spécifiques de réalisation ou d’application des vertus qui se manifestent à travers des pensées, des idées, des émotions ou des comportements variés. Elles sont vues comme des différences individuelles existant à des degrés différents chez une personne dans un continuum plus que comme des catégories « tout ou rien ».

Vertus et forces associéesdescription
1. Sagesse et connaissances
Forces cognitives qui engendrent l’acquisition et l’utilisation de connaissances
Curiosité Avoir un intérêt pour toutes les expériences actuelles
Amour de l’apprentissageMaîtriser de nouvelles compétences, de nouveaux sujets et de nouvelles connaissances
2. JusticeLes forces civiques qui sous-tendent une vie communautaire saine
Travail d’équipeBien travailler en tant que membre d’un groupe ou d’une équipe
ÉquitéTraiter toutes les personnes de la même manière selon les notions d’équités et de justices
3. TempéranceForce qui protège contre les excès
PrudenceFaire attention à ses choix ; ne pas dire ou faire des choses que l’on pourrait regretter plus tard.
Exemple de quelques vertus avec leurs forces de caractère associés traduit et tirés de Seligman et al. (2005)

Cette classification se veut être, selon Peterson (cité dans Bernard et al., 2011), le côté des forces positives chez l’homme en complémentarité du DSM ou du CIM. Bien que ce modèle soit le plus documenté scientifiquement, deux autres modèles coexistent : le Gallup Strenghtfinder de  Clifton (Hodge & Clifton, 2004), et le concept des forces par le Centre de psychologie positive appliquée de Linley (2008; Govindji & Linley, 2007).  

La Well-Being Therapy

La Well-Being Therapy (WBT) (Fava, 1998) est une thérapie à court terme avec des stratégies psychothérapeutiques (auto-observation, utilisation d’un journal structuré…) visant à agir sur des composantes psychologiques du bien-être qui ont besoin d’être travaillés afin d’améliorer le niveau de récupération des ressources psychologiques. Elle peut être utilisée simultanément avec les TCC en combinaison séquentielle. En premier lieu le thérapeute, avec le patient, établit des données cliniques ayant un effet sur la vie de la personne et pouvant expliquer la réduction du bien-être.

Cette macro-analyse est construite suivant des dimensions reliées entre elles par leurs relations et influences réciproques :

Exemple de macro-analyse tiré de Guidi et al. (2018).

Ainsi, la phase initiale concerne l’évaluation clinique, suivie de l’auto-observation du bien-être psychologique. Une fois que les instances sont correctement reconnues, le patient est encouragé à identifier les pensées, les croyances et les comportements conduisant à une interruption prématurée du bien-être. La dernière partie implique la restructuration cognitive des dimensions dysfonctionnelles du bien-être psychologique en utilisant des techniques de comportement cognitif pour les traiter et poursuivre les expériences optimales (Guidi et al., 2018). Le nombre de séances en WBT peut varier de 8 séances à une vingtaine et la durée de chaque séance varie de 45 à 60 min.

Efficacité

Plusieurs études ont été menées pour évaluer l’efficacité de la Well-Being Therapy (WBT) aussi bien sur un public clinique avec des troubles variés que sur un public non clinique.

Une intervention en psychologie positive a été menée auprès d’étudiants collégiens (Ruini et al., 2006). Une passation de deux tests psychométriques a été faite à la première et à la dernière séance afin de mesurer le bien-être et la détresse psychologique. Le premier est le Kellner’s Symptom Questionnaire (SQ) qui mesure la détresse psychologique à travers 4 échelle (anxiété, dépression, somatisation et hostilité-irritabilité) et le bien-être à travers 4 autres (relaxation, satisfaction, bien-être physique et amabilité). Le second est le Riff’s Psychological Well-Being Scales (PWB) qui donne un score en fonction des 6 domaines du bien-être psychologique selon le modèle de Riff. Les étudiants collégiens ont été assignés de manière randomisée en deux groupes : l’un proposait un dérivé des Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) et se focalisait sur le traitement des émotions négatives et une éducation émotionnelle tandis que l’autre était un dérivé de la WBT et se focalisait sur les émotions positives et les dimensions psychologiques du bien-être. Les interventions se déroulaient en sessions de 2 heures chaque semaine avec les deux premières sessions similaires pour les deux groupes.

Pour l’intervention TCC, les séances ont été réalisées en utilisant des techniques comme l’identification des croyances négatives et des styles d’interprétation, les preuves pour et contre les croyances négatives et les interprétations alternatives des problèmes. Cette restructuration cognitive a été réalisée par le biais de jeux de rôles.

Pour l’intervention WBT, l’objectif était d’aider les élèves à reconnaître, ressentir et partager des émotions positives. Une attention importante était accordée à la reconnaissance, l’expression et la communication des émotions positives. La troisième session était axée sur la relation interpersonnelle positive qui est une dimension spécifique du modèle de bien-être psychologique de Riff.

Les résultats ne montrent aucune différence significative entre les deux groupes. Les TCC et la WBT sont aussi efficaces l’une que l’autre pour l’amélioration du bien-être chez un public scolaire. Cependant on remarque des différences au sein des items de chacun des tests. Pour la TCC on remarque une amélioration significative de l’objectif de vie, de l’acceptation de soi et de la qualité de la vie dans le SQ et une diminution de l’anxiété, de la dépression et une augmentation du bien-être physique dans le PWB. Les différences combinées sont significatives pour le PWB et Le SQ. Pour la WBT on remarque une amélioration de l’acceptation de soi dans le PWB et une diminution de l’hostilité-irritabilité dans le SQ. Les différences combinées sont significatives pour le PWB mais pas pour le SQ.

Il n’y avait pas de différences significatives entre les deux groupes dans les variables, y compris le PWB et le SQ. Par analyse de la covariance, la WBT a permis une amélioration significative de l’échelle bien-être physique du SQ par rapport à la TCC, mais aucune différence globale n’a été observée en ce qui concerne la PWB et la SQ.

La WBT a été associée à une augmentation significative de l’acceptation de soi et à une diminution de l’hostilité.

Une autre étude a été menée pour mesurer l’effet de la WBT dans l’amélioration du bien-être sur une population scolaire (Ruini et al., 2009). Les étudiants ont été séparés de manière aléatoire en un groupe WBT et un groupe suivant une intervention placebo où les élèves étaient invités à communiquer et à partager avec leurs camarades des moments très positifs qu’ils ont vécus au cours de leur vie.

Les résultats montrent une amélioration significative du bien-être du groupe WBT comparé au groupe placebo, avec une taille d’effet faible. De plus, l’anxiété physiologique tendait à diminuer avec le temps dans le groupe WBT alors qu’elle augmentait dans le groupe placebo.

Pour ce qui est de l’efficacité de la WBT sur un public clinique, de nombreuses études ont été menées sur des patients présentant des troubles dépressifs sévères.

Une étude de Fava et al. (1998) a été menée sur 23 patients atteints de dépression majeure, trouble panique avec agoraphobie, phobie sociale, trouble anxieux généralisé ou trouble obsessionnel compulsif. Ils ont été assignés de manière randomisée à un groupe TCC et un groupe WBT. Les séances se sont étalées sur une durée allant de 3 à 5 mois.

Les résultats montrent que les deux traitements ont été associés à une réduction des symptômes avec un effet significatif de la WBT. La WBT et les TCC sont associés significativement à une amélioration du bien-être psychologique. Cependant il n’y a pas de différence significative entre les deux traitements. De plus, comme le soulignent les auteurs, les principales limites de l’étude sont le peu de participants et les diagnostics hétérogènes de l’échantillon.

Une autre étude a été menée par Moeenizadeh et Salagame (2010) sur 40 patients atteints de troubles dépressifs majeurs. Ils ont été séparés aléatoirement en 2 groupes : un suivait une TCC tandis que l’autre suivait la WBT. Les séances se déroulaient sur une période de 8 semaines avec une session hebdomadaire de 45 à 60 min.

Les résultats montrent que, quelque soit le groupe, les patients ont vu une réduction de leurs symptômes. les patients traités par WBT ont montré une plus grande réduction des symptômes que ceux du groupe TCC comme l’indiquent les tailles d’effets.

Tailles d’effets tirés de Moeenizadeh et Salagame (2010)

De plus, le bien-être continue d’augmenter auprès de ceux qui ont suivi la WBT, ils développent des relations sociales plus optimistes et heureuses avec les autres que le groupe TCC comme on compare les pré-tests au post-tests des deux groupes.

Enfin une méta-analyse de Sin et Lyubomirsky (2009) suggère que les interventions en psychologie positive, dont la WBT fait partie, améliorent le bien-être et diminuent la dépression. D’autres résultats montrent que les participants atteints d’une dépression ont plus de bénéfice d’une intervention en psychologie positive que ceux qui ne le sont pas et que ceux qui choisissent d’y participer bénéficient d’un meilleur effet. Pour ce qui est de l’effet des interventions sur l’amélioration du bien-être et la réduction des symptômes dépressifs, on remarque que la taille d’effet de l’efficacité de l’intervention est plus grande dans les thérapies individuelles que dans les thérapies de groupe et l’auto-thérapie.

Ainsi dans le cadre des troubles dépressifs majeurs la WBT n’améliore pas seulement le bien-être mais réduit également les symptômes dépressifs.

Si les méta-analyses (Carr et al., 2021) plus récentes et de meilleure qualité que celle de Sin et Lyubomirsky tendent à confirmer les effets visés par les approches de psychologie positive, il convient de se rappeler que les tailles d’effets sont souvent faibles.

Des études ont été menées sur des troubles psychologiques différents, mais, comme le soulignent les différents auteurs de ces études, le faible effectif de participants aux études, le plus souvent fondées sur des études de cas, ne permet pas de généraliser l’effet à l’ensemble de la population (Belaise et al., 2005 ; Fava et al., 2005, 2011).

Bibliographie

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La thérapie des schémas

schémas

La thérapie des schémas est une psychothérapie issue d’une approche clinique scientifique. Plus précisément, c’est une forme particulière de thérapie cognitivo-comportementale et émotionnelle (TCCE) axée sur les troubles de la personnalité (Gautier, Ngô & Goulet, 2019 ; Roy, 2005).

Comme la thérapie comportementale dialectique (TCD), la schema focused therapy a démontré son efficacité sur les troubles limites (Borderline Personality Disorder) à travers études et méta-analyses (Giesen-Bloo et al., 2006 ; Oud et al., 2018 ; Taylor & Haddock, 2017) en développant des protocoles adaptés.
Même si cette thérapie a été à l’origine développée pour traiter les troubles de la personnalité, son effet commence à être étudié pour accompagner d’autres troubles psychologiques (Kopf-Beck et al., 2020) comme les états dépressifs en population gériatrique  (Kindynis, Burlacu, Louville & Limosin, 2013).

Pour certaines situations comme les troubles alimentaires, la thérapie fait encore débat et soulève les controverses (Mcintosh et al. 2016 ; Pugh, 2015). En effet la plupart des études ont un nombre peu important de participants, ou peu d’études démontrent son efficacité.

La plupart des troubles psychologiques auxquels elle s’applique sont chroniques et enracinés dans l’individu, ils sont difficiles à traiter et on observe un important taux de rechute lorsqu’ils sont appréhendés par des TCC classiques (Gautier, Ngô & Goulet, 2019 ; Young, Weinberg & Beck, 2001).  La prise en charge des troubles de la personnalité est difficile et longue : un effort particulier est nécessaire au maintien de l’alliance thérapeutique et de l’engagement dans la thérapie.
Cette psychothérapie se base sur la théorie des schémas de Beck, complétée plus tard par Young pour devenir la thérapie des schémas (Rush & Beck, 1978 ; Young, Klosko & Weishaar, 2017). Les schémas sont des structures mentales cognitives qui guident l’interprétation et la résolution de problèmes en les faisant correspondre au système de croyances du sujet sur soi et sur le monde (Unger, 1994 ; Young, Klosko & Weishaar, 2017). Ce sont des éléments organisés dans la mémoire à long terme à partir d’expériences et de réactions passées qui filtrent et sélectionnent les informations qu’un individu a de son environnement afin d’expliquer ces expériences vécues (Gautier, Ngô & Goulet, 2019).

Les individus atteints de troubles de la personnalité possèdent des types de schémas particuliers appelés plus communément schémas précoces inadaptés (Gautier, Ngô & Goulet, 2019 ; Schmidt & Joiner, 2004). Le but de la thérapie des schémas est de repérer ces schémas afin de les modifier. Ce travail thérapeutique se fait avec le patient, le thérapeute est donc actif et sélectionne avec celui-ci les schémas précoces inadaptés qui lui posent problème (Young, Klosko & Weishaar, 2017). La thérapie peut-être longue car les schémas sont présents depuis de nombreuses années comme ils se développent pendant l’enfance ou l’adolescence et sont consolidés à l’âge adulte par des expériences négatives (Gautier, Ngô & Goulet, 2019). Les schémas précoces inadaptés amènent l’individu à réagir de manière rigide et stéréotypée (Gautier, Ngô & Goulet, 2019 ; Unger, 1994) lorsqu’il se retrouve dans certaines situations et sont constitués d’émotions, de sensations corporelles et de cognitions souvent intenses et envahissantes (Schmidt & Joiner, 2004). Ces schémas sont liés à un dysfonctionnement dans la vie sociale, professionnelle ou familiale de l’individu (Gautier, Ngô & Goulet, 2019).

La thérapie des schémas est à mettre en relation avec la théorie de l’attachement de Bowlby (Ainsworth & Bowlby, 1991 ; Young, Klosko & Weishaar, 2017). L’attachement peut être défini comme le besoin d’être en connexion avec autrui de façon stable et sécuritaire et de prendre soin d’autrui. Lors de l’enfance le rôle de la figure parentale est d’établir une concordance affective entre ses émotions intérieures et son environnement extérieur. Cela permet à l’enfant de développer une capacité réflexive de mentaliser ses émotions, de se sentir compris, considéré, et lui permet d’évoluer dans un cadre stable avec des expériences relationnelles positives (Gautier, Ngô & Goulet, 2019). Ces schémas deviennent inadaptés lorsque des relations affectives dans l’enfance deviennent nuisibles au développement psychologique. Cette construction peut provenir d’un manque de validation (Linehan, 1993), d’une harmonisation parentale inadéquate (Fonagy et al., 2010) ou d’une maltraitance pure et simple (Cohen et al., 2013). Les schémas précoces inadaptés peuvent ainsi devenir inflexibles, partiellement organisés, dépourvus de nuances et à valence négative (Caligor, 2010 ; Cohen, 2007 ; Fonagy et al., 2010).

Note : Cet article a été écrit à partir des sources utilisées. La science n’étant pas une matière figée cette thérapie et les théories qui la façonnent sont amenées à évoluer dans le temps. Néanmoins à ce jour elles parviennent le mieux à expliquer et à prendre en charge les troubles associés.

Liens pour aller plus loin :

Trouble de la personnalité – PsykoCouac #1 – YouTube

L’attachement et ses problèmes – PsykoCouac #8 – YouTube

Le transfert – PsyKonnerie? #5 – YouTube

Comprends ta personnalité avec la métaphore de l’arbre – Psykonnaissance #13 – YouTube

Comprends ta personnalité avec la métaphore de la classe – Psykonnaissance #26 – YouTube

Borderline (trouble de la personnalité) – PsykoCouac #1.1 – YouTube

Borderline questions avancées Partie 1 – PsykoCouac #1.3 – YouTube

Borderline questions avancées Partie 2 – PsykoCouac #1.4 – YouTube


Sources :

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