10 conseils pour distinguer la science de la pseudoscience

Revue électronique de Psychologie Sociale, 2010-2011, No. 5.

Note méthodologique

Les 10 commandements pour aider les étudiants à distinguer la science de la pseudoscience en psychologie

Scott O. Lilienfeld
Emory University – Atlanta, USA

« Professeur Schlockenmeister, je sais que nous avons beaucoup à apprendre sur la perception visuelle dans votre cours, mais ne va-t-on pas apprendre quelque chose sur les perceptions extrasensorielles ? Un de mes professeurs de Lycée nous disait qu’il existait bon nombre de preuves scientifiques. »

« Dr. Glopelstein, vous nous avez appris beaucoup de choses sur l’intelligence dans votre cours. Mais quand allez-vous discuter des recherches montrant que la musique de Mozart augmente le QI des nourrissons ? »

« M. Fleikenzugle, vous ne cessez de parler des écoles de psychothérapie, comme la psychanalyse, les thérapies comportementales, et la thérapie centrée sur le patient. Mais comment se fait-il que vous n’avez jamais dit un mot sur les thérapies à intégration sensorielle ? Ma mère, qui est thérapeute, me dit que c’est un remède miracle pour les troubles de l’attention. »

Pseudoscience et psychologie populaire

Si vous êtes enseignant en psychologie, ces questions doivent sans doute vous sembler familières. Il y a une bonne raison à cela : en psychologie, la plus grande partie du « bagage de connaissances » que nos élèves amènent en classe se résume généralement à de la pseudoscience. En outre, nos étudiants sont souvent fascinés par les prétendues connaissances scientifiques en marge des champs académiques : la perception extrasensorielle, la psychokinésie, le channelling, les expériences extracorporelles, la persuasion subliminale, l’astrologie, le biorythme, le « sérum de vérité », l’effet de la lune sur les comportements, la régression sous hypnose, les troubles de personnalité multiple, les rapports d’enlèvements extraterrestres, l’analyse graphologique, les thérapies de rebirthing (dites aussi « respiration conscience »), ou encore les traitements de la dépression à base de phytothérapie pour n’en nommer que quelquesuns. Bien entendu, dans la mesure où certains de ces exemples peuvent éventuellement contenir une once de vérité, nous ne devrions pas les rejeter en bloc. Néanmoins, une chose troublante concernant ces revendications est le décalage flagrant entre les nombreuses personnes adhérant à ces croyances et la maigreur des preuves scientifiques les appuyant.

Pourtant, de nombreux enseignants en psychologie n’accordent dans leurs cours qu’une attention minimale aux sujets potentiellement pseudo-scientifiques, cela sans doute parce qu’ils pensent que ces sujets sont d’un intérêt au mieux marginal pour les sciences psychologiques. En outre, bon nombre d’ouvrages d’introduction à la psychologie n’abordent qu’à peine ces sujets. Après tout, n’y a-t-il pas déjà suffisamment de choses à aborder en psychologie, alors pourquoi aborder des choses dont la valeur scientifique est douteuse ? De plus, certains enseignants craignent qu’en accordant de l’attention aux théories discutables, ils finissent par donner aux élèves un message involontairement biaisé qui donnerait une crédibilité scientifique à ces allégations.

Les avantages d’enseigner aux élèves à distinguer la science de la pseudoscience

Pourquoi devrions-nous apprendre aux étudiants en psychologie à distinguer la science de la pseudoscience ? George Kelly (1955), théoricien de la personnalité, écrivait qu’une assimilation efficace d’un concept implique une compréhension de l’ensemble de ses pôles. Pour exemple, nous ne pouvons pas saisir pleinement le concept de « froid » sans avoir expérimenté la chaleur. De la même manière, les étudiants ne peuvent pas saisir pleinement le concept de la pensée scientifique sans une compréhension des croyances pseudo-scientifiques, à savoir celles qui semblent, à première vue scientifiques, mais qui ne le sont pas.

De plus, en abordant ces sujets, et en remettant en question les idées reçues des élèves relevant de la psychologie populaire, les enseignants peuvent saisir l’opportunité de renforcer l’esprit critique de leurs étudiants, en les amenant à distinguer causalité et corrélation, et ainsi montrer l’importance de la présence de groupes contrôles. Bien que bon nombre d’étudiants trouvent ces connaissances sans intérêt, voire d’un ennui mortel, lorsqu’elles sont abordées en cours de manière abstraite, ils les apprécient généralement lorsqu’elles sont abordées dans le cadre de débats animés et controversés qui viennent stimuler leurs intérêts personnels (comme par exemple, la perception extrasensorielle. C’est en puisant des exemples dans la vie quotidienne tels que les articles de magazines, les sites Internet et les programmes de télévision que les étudiants se forgent une connaissance de ces thématiques issues de la psychologie populaire.

En effet, pour de nombreux élèves débutants, la « psychologie » est pratiquement synonyme de psychologie populaire. Toutefois, dans la mesure où une grande partie de la psychologie populaire est composé de mythes et de légendes urbaines, parmi lesquels l’idée que la plupart des gens n’utilisent que dix-pour-cent de leur cerveau, qu’exprimer sa colère est généralement meilleur que la contenir, que les opposés s’attirent dans les relations interpersonnelles, qu’une haute estime de soi est nécessaire pour une bonne santé psychologique, ou encore que les personnes atteintes de schizophrénie ont plusieurs personnalités, beaucoup d’étudiants quittent les cours de psychologie avec les mêmes idées fausses que celles avec lesquelles ils étaient entrés. Par conséquent, ils sortent souvent de licence en étant incapables de distinguer le grain de l’ivraie dans la psychologie populaire.

Ainsi, apprendre aux élèves à distinguer la science de la pseudoscience peut s’avérer très gratifiant. Au premier rang de ces bénéfices est la production de consommateurs avertis concernant la littérature en psychologie populaire. En effet, plusieurs études présentent l’intérêt d’enseigner la psychologie en abordant la pseudoscience et le paranormal. Pour exemple, Morier et Keeports (1994) ont rapporté que des étudiants de premier cycle ayant suivi un séminaire « Science et pseudoscience » réduisent significativement leurs croyances dans le paranormal en comparaison à un groupe quasi-contrôle qui a suivi une formation sur la psychologie et la législation sur la même période (voir aussi Dougherty, 2004). Ils ont reproduit cet effet sur un intervalle de 2 ans avec deux périodes de cours. Wesp et Montgomery (1998) ont constaté qu’un cours sur l’examen objectif des phénomènes paranormaux entraîne une amélioration statistiquement significative dans l’évaluation des biais de raisonnement à repérer dans des articles scientifiques. Plus précisément, les étudiants suivant ce cours ont été plus à même d’identifier des erreurs de logique dans des articles et de fournir des explications alternatives pour les résultats de recherche.

Les 10 commandements

Néanmoins, apprendre aux élèves à distinguer la science de la pseudoscience présente également une part de défis et de pièges potentiels. Dans mon cours d’introduction à la psychologie (dans lequel je souligne fortement la distinction entre la science et la pseudoscience en psychologie) et dans mon séminaire « Science et pseudoscience en psychologie », j’ai moi-même appris bon nombre de leçons précieuses (en réalisant dans un premier temps personnellement toutes les erreurs que je vais vous inviter à éviter).

Dans la section suivante, je résume ces conseils d’enseignement, que je désigne sous le terme de « 10 commandements » pour aider les étudiants de psychologie à distinguer la science de la pseudoscience. Afin d’éviter d’être accusé de ne pas séparer l’Église et l’État, j’ai rédigé l’ensemble de ces injonctions dans un sens positif plutôt que négatif pour les distinguer des 10 commandements bibliques (tout juste mieux connus). J’invite les lecteurs de cet article à inscrire ces commandements sur de lourdes tablettes en pierre afin de les exposer à l’extérieur de tous les départements de psychologie.

Premier Commandement

Tu délimiteras les caractéristiques qui distinguent la science de la pseudoscience.

Il est important d’informer les étudiants que les différences entre la science et la pseudoscience, bien que non absolues ni clairement définies, ne sont ni arbitraires ni subjectives. Pour pallier cela, les philosophes des sciences (par exemple, Bunge, 1984) ont identifié une multitude d’éléments ou de signes avant-coureurs qui caractérisent la plupart des disciplines pseudoscientifiques. Parmi ces signes d’alerte on trouve :

  • Une tendance à invoquer des hypothèses ad hoc, qui peuvent être considérées comme des « issues de secours » ou gouffres, ou comme moyen d’éviter les arguments d’opposition permettant la falsification.
  • Une absence d’autocorrection accompagnée d’une stagnation intellectuelle.
  • Un accent mis sur la confirmation plutôt que sur la réfutation.
  • Une tendance à placer le fardeau de la preuve sur les sceptiques, non partisans des phénomènes défendus.
  • Un appui excessif sur les anecdotes et les témoignages pour justifier les revendications.
  • L’évitement de l’évaluation scientifique par les pairs (peer-review).
  • L’absence de « connectivité » (Stanovich, 1997), c’est-à-dire l’incapacité à s’appuyer sur des connaissances scientifiques existantes.
  • L’utilisation d’un jargon qui semble de prime abord très impressionnant et dont le but principal est de prétendre une respectabilité scientifique.
  • L’absence de conditions limites (Hines, 2003), c’est-à-dire une incapacité à spécifier les paramètres dans lesquels les phénomènes ne fonctionnent plus.

Les enseignants doivent expliquer aux élèves qu’aucun de ces signes d’avertissement n’est en soi suffisant pour indiquer qu’une discipline est pseudo-scientifique. Néanmoins, plus une discipline présente un nombre important de ces signes avant-coureurs, plus elle devrait être suspecte de le devenir.

Deuxième Commandement

Tu distingueras scepticisme de cynisme.

Un des risques lorsqu’on enseigne la distinction entre science et pseudoscience est de rendre par mégarde des étudiants réflexivement dédaigneux à tout phénomène qui semble peu plausible. Le scepticisme, qui est le propre du scientifique, implique deux attitudes apparemment contradictoires (Sagan, 1995) : une ouverture d’esprit aux propositions, combinée à une volonté de soumettre ces propositions à l’épreuve des faits. James Oberg, ingénieur spatial (voir Sagan, 1995), nous rappelait de garder l’esprit ouvert mais pas au point de mettre de côté notre cerveau. En revanche, le cynisme implique une fermeture d’esprit. Je me souviens avoir été réprimé par un sceptique éminent parce que j’encourageais les chercheurs à garder un esprit ouvert quant à l’efficacité d’une nouvelle psychothérapie dont la rationalité lui semblait farfelue. Toutefois, si on exclut la possibilité que nos croyances préexistantes puissent être erronées, nous n’agissons plus en scientifique. Le scepticisme implique une volonté d’envisager les nouvelles propositions ; le cynisme ne le permet pas.

Troisième Commandement

Tu distingueras scepticisme méthodologique de scepticisme philosophique.

Lorsqu’il s’agit d’encourager les élèves à penser de façon critique, il faut distinguer deux formes de scepticisme : (1) une approche qui soumet toutes les demandes à l’examen des connaissances dans le but de démêler les propositions vraies des fausses, à savoir un scepticisme méthodologique (scientifique), et (2) une approche qui nie la possibilité de la connaissance, à savoir le scepticisme philosophique. En expliquant aux élèves que la connaissance scientifique est intrinsèquement provisoire et ouverte à révision, certains étudiants peuvent conclure à tort que la véritable connaissance est impossible. Ce point de vue, populaire dans certains milieux postmodernes, manque à distinguer les propositions théoriques probables de celles qui le sont moins. Bien que la certitude absolue soit probablement impossible à atteindre en science, certaines des allégations scientifiques, telle que la théorie darwinienne de la sélection naturelle, sont extrêmement bien corroborées, tandis que d’autres, telle que la théorie à la base des horoscopes astrologiques, ont été réfutées de manière convaincante. D’autres encore, comme la théorie de la dissonance cognitive, sont scientifiquement discutées. Par conséquent, il existe un continuum de confiance concernant les affirmations scientifiques. Certaines ont acquis le statut de fait quasi-avéré tandis que d’autres ont été clairement falsifiées. Le fait que le scepticisme méthodologique n’apporte pas de réponses définitives aux questions scientifiques, et que ces réponses pourraient en principe être remises en question par un nouveau fait, n’implique pas que la connaissance est impossible, mais seulement que cette connaissance est provisoire. Il ne faut pas non plus en conclure que les réponses produites par la recherche scientifique ne valent guère mieux que d’autres types de réponses, telles que celles générées par l’intuition (voir Myers, 2002).

Quatrième Commandement

Tu distingueras les propositions pseudoscientifiques des propositions qui sont tout bonnement fausses.

Il arrive à tous les scientifiques, même les meilleurs, de faire des erreurs. Sir Isaac Newton, par exemple, a flirté avec des hypothèses alchimiques farfelues durant une grande partie de sa prestigieuse carrière scientifique (Gleick, 2003). Les élèves doivent comprendre que la principale différence entre la science et la pseudoscience ne réside pas dans le contenu (i.e., que les propositions soient en réalité correctes ou incorrectes) mais dans l’approche de la preuve. La science, du moins quand elle est appliquée correctement, cherche les informations contradictoires et – supposant que ces preuves sont réplicables et de haute qualité – intègre éventuellement ces informations dans son corpus de connaissances. En revanche, les pseudosciences tendent à éviter les informations contradictoires (ou trouvent un moyen de réinterpréter ces informations comme étant compatibles avec leurs prétentions) et échappe ainsi à l’autocorrection essentielle au progrès scientifique. Pour exemple, l’astrologie a remarquablement peu changé au cours de ces 2500 dernières années, et cela en dépit des preuves massives la réfutant (Hines, 2003).

Cinquième Commandement

Tu distingueras la science des scientifiques.

Bien que la méthode scientifique soit un moyen d’éviter le biais de confirmation (Lilienfeld, 2002), elle n’implique pas que les scientifiques soient à l’épreuve des préjugés. Pas plus que cela ne signifie que les scientifiques sont ouverts à la mise à l’épreuve de leurs croyances les plus chères. Les scientifiques peuvent être tout aussi têtus et dogmatiques dans leurs croyances que toute autre personne. Tout au plus, les bons scientifiques s’efforcent de tenir compte de leurs préjugés et de les neutraliser autant que possible par la mise en oeuvre de procédures imposées par la méthode scientifique et permettant d’éviter les biais (par exemple, la présence de groupes contrôle en double aveugle). Les élèves doivent comprendre que la méthode scientifique est une boîte à outils que les scientifiques ont mis au point pour se prémunir de la confirmation de leurs propres préjugés.

Sixième Commandement

Tu expliqueras les fondements cognitifs des croyances pseudo-scientifiques.

Les enseignants devraient souligner que nous sommes tous enclins aux illusions cognitives (Piatelli-Palmarini, 1994), et que de telles illusions peuvent sembler convaincantes et difficiles à éviter. Par exemple, les démonstrations en classe mettant en évidence le phénomène de faux souvenir (e.g., Roediger & McDermott, 1995) dont nous sommes tous potentiellement victimes, peut aider les élèves à constater que les processus psychologiques qui conduisent à des croyances erronées sont omniprésents. En outre, il est important de faire remarquer aux élèves que les heuristiques (raccourcis dans le traitement de l’information) qui peuvent générer ces fausses croyances, telles que le biais de représentativité, le biais de disponibilité, ou l’ancrage (Tversky et Kahneman, 1974), sont essentiellement des phénomènes adaptatifs qui nous aident à donner du sens à un monde complexe et confus. Par conséquent, la plupart des croyances pseudoscientifiques ne sont pas véritablement différentes des croyances vérifiables. En insistant sur ces points, les enseignants peuvent réduire le risque que les étudiants qui ont adopté des croyances pseudo-scientifiques se sentent ridicules lorsqu’ils sont confrontés à des preuves qui contredisent leurs croyances.

Septième Commandement

Tu expliqueras que les croyances pseudoscientifiques satisfont d’importantes motivations.

Plusieurs affirmations paranormales, telles que celles concernant la perception extrasensorielle, les expériences désincarnées, ou encore l’astrologie, font appel chez ceux qui y croient à un profond besoin d’espoir et d’émerveillement, comme la nécessité d’avoir un contrôle sur des évènements souvent incontrôlables liés à la vie et la mort. La plupart de ceux qui croient au paranormal sont à la recherche de réponses à des questions existentielles profondes, telles que « y a-t- il une âme ? » ou « y a-t-il une vie après la mort ? » Le psychologue Barry Beyerstein (1999) nous rappelle qu’à « chaque minute nait un gogo » (p. 60 ; en référence à la fameuse plaisanterie de P.T. Barnum). Par conséquent, en présentant aux étudiants des preuves scientifiques mettant à mal leurs croyances paranormales, il n’est pas surprenant que bon nombre d’entre eux soit sur la défensive. Cette position défensive peut engendrer un refus de prendre en compte les preuves contraires aux croyances.

L’un des deux meilleurs moyens de réduire cette position défensive (le second moyen est le huitième commandement présenté ci-dessous) consiste à remettre en doute avec douceur les croyances des élèves, tout en utilisant sympathie et compassion, et en sachant que les étudiants qui sont émotionnellement impliqués dans ces croyances paranormales vont éprouver des difficultés à les remettre en question, et encore plus à y renoncer. Ridiculiser ces croyances peut produire un effet de réactance (Brehm, 1966) et ainsi renforcer les stéréotypes des élèves considérant les enseignants en sciences comme des personnes fermées d’esprit et dédaigneuses. Dans certains cas, les enseignants qui ont une très bonne relation avec leur classe peuvent faire bouger les choses en utilisant un humour bienveillant pour remettre en cause les croyances des étudiants (i.e., « Je voudrais demander à tous les élèves qui pensent que la télékinésie existe de bien vouloir me lever la main »). Toutefois, il est essentiel que les enseignants veillent à ce que cet humour ne soit pas perçu comme humiliant ou condescendant.

Huitième Commandement

Tu présenteras aux étudiants des exemples issus de la vraie science, autant que des exemples issus de pseudosciences.

Dans nos cours, il est essentiel non seulement de remettre en question les affirmations fausses, mais également de présenter aux étudiants des affirmations exactes. Nous devons être attentifs non seulement à mettre à l’écart les croyances douteuses des élèves, mais également à leur donner des connaissances légitimes en retour. Ce faisant, nous pouvons plus facilement faire accepter aux étudiants l’amère pilule relative à l’abandon de leurs croyances paranormales les plus chères. Les élèves doivent comprendre que bon nombre de véritables conclusions scientifiques sont à tout le moins aussi passionnantes que les affirmations paranormales douteuses. Dans mes propres cours, j’ai jugé utile d’apporter en plus des informations pseudoscientifiques, des informations scientifiques tout aussi surprenantes, mais vraies, comme le rêve lucide, la mémoire eidétique, la perception subliminale (par opposition à la persuasion subliminale, qui est scientifiquement bien plus contestée), les exploits extraordinaires de la mémoire humaine (Neisser & Hyman, 2000), et les applications cliniques de l’hypnose (par opposition à l’hypnose comme technique de récupération des souvenirs qui n’a pas d’appui scientifique, voir Lynn, Lock, Myers, & Payne, 1997). De plus, nous devrions garder à l’esprit les paroles du paléontologue Stephen Jay Gould (1996) qui considère que dénoncer un mensonge expose inexorablement une vérité. Par conséquent, il est essentiel non seulement de signaler les informations erronées aux étudiants, mais également de les orienter vers des informations valides. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi les revendications concernant les biorythmes sont sans fondement (voir Hines, 2003), il est utile de présenter aux élèves les arguments concernant les rythmes circadiens qui, bien souvent confondus avec les biorythmes, sont quant à eux soutenus par des recherches scientifiques rigoureuses.

Neuvième commandement

Tu adopteras une seule et même exigence intellectuelle.

Une erreur que j’ai parfois observée chez les sceptiques, y compris chez ceux qui enseignent la méthodologie en psychologie, est d’adopter deux niveaux d’exigence : une pour les propositions qu’ils considèrent plausibles et une seconde pour les autres. Le psychologue contemporain Paul Meehl (1973) a souligné que cette incohérence équivaut à « changer les normes d’évaluation de la preuve selon l’objet que l’on doit évaluer » (p. 264). Par exemple, je connais un professeur qui s’est fortement investi dans l’élaboration de listes de thérapies empiriquement validées, c’est-à-dire les traitements en psychologie qui ont démontrés leur efficacité par des études scientifiques. Pour ce faire, il s’appuie prudemment sur la littérature scientifique pour s’assurer que certaines psychothérapies sont efficaces et que d’autres ne le sont pas. Néanmoins, il fait peu état des résultats scientifiques sur l’efficacité de la thérapie par électrochocs (ECT) sur la dépression, même si les preuves découlent ici d’études contrôlées qui sont tout aussi rigoureuses que celles utilisées dans le cadre des autres psychothérapies auxquels il adhère. Quand je lui ai fait remarquer cette contradiction, il a refusé d’admettre faire deux poids deux mesures. Il m’est finalement paru évident qu’il rejetait les preuves de l’efficacité de l’ECT simplement parce que ce traitement lui paraissait manifestement invraisemblable. Il s’est sans doute demandé pour quelles raisons serait-il nécessaire d’induire une crise d’épilepsie en administrant un choc électrique au cerveau pour soulager la dépression ? C’est toutefois parce que la plausibilité d’un fait est un bien mauvais compagnon lorsqu’il s’agit d’évaluer la véracité d’un événement que nous devons rester ouverts aux preuves qui remettent en question nos intuitions préétablies, et ainsi encourager nos étudiants à faire de même.

Dixième Commandement

Tu distingueras les revendications pseudoscientifiques des revendications religieuses purement métaphysiques.

Ce dernier commandement est le plus susceptible de faire l’objet de controverses, en particulier pour les sceptiques qui soutiennent que pseudosciences et croyances religieuses sont toutes deux irrationnelles. Pour distinguer ces deux ensembles de croyances, il faut différencier les pseudosciences et la métaphysique. Contrairement aux allégations pseudoscientifiques, les revendications métaphysiques (Popper, 1959) ne peuvent être testées de façon empirique, et par conséquent, elles se situent en dehors des limites de la science. Dans le domaine de la religion, cela inclus les croyances relatives à l’existence de Dieu, de l’âme, ou de l’au-delà, dans la mesure où aucune d’entre elles ne peut être réfutée par un ensemble concevable de preuves scientifiques. Néanmoins, certaines croyances religieuses ou quasi-religieuses, telles que celles faisant référence à une théorie du « dessein intelligent » – en quelques sortes une nouvelle incarnation du créationnisme (voir Miller, 2000) –, le Saint Suaire de Turin, ou encore les statues pleurantes de la Vierge Marie, sont vérifiables dans les faits et donc adaptées à l’analyse critique au même titre que d’autres croyances naturalistes douteuses. Toutefois, en faisant l’amalgame entre les croyances pseudoscientifiques et les croyances religieuses strictement métaphysiques, les enseignants risquent (a) de se mettre à dos inutilement une proportion non négligeable de leurs élèves, dont beaucoup peuvent être religieusement croyants, et (b) (paradoxalement) d’affaiblir la pensée critique des élèves, qui exigent une compréhension claire de la distinction entre les propositions vérifiables et invérifiables.

Conclusion

Le respect de ces dix commandements peut faciliter le travail des enseignants en psychologie dans le but essentiel d’amener les étudiants à distinguer la science de la pseudoscience. Utilisés avec précaution, sensibilité, et avec une compréhension claire des différences entre scepticisme et cynisme, entre scepticisme méthodologique et philosophique, entre la méthode scientifique et les scientifiques qui l’utilisent, entre la pseudoscience et la métaphysique, et en intégrant aux cours de psychologie la pseudoscience et les approches scientifiques marginales, le résultat peut être fortement bénéfique tant pour les enseignants et que pour les étudiants. Dans un monde où les médias, l’industrie du développement personnel, et l’Internet diffusent à tout va une pseudoscience psychologique à un rythme croissant, l’esprit critique nécessaire pour distinguer la science de la pseudoscience devrait faire partie des cours obligatoires pour tout étudiant de psychologie.

Adaptation française par David Vaidis.
Avec l’aimable soutien de la RePS et de ses auteurs.
L’ensemble du texte est sous Licence Creative Common BY-NC-SA.

Pour aller plus loin :

Lilienfeld, S.O., Lynn, S.J., Ruscio, J., & Beyerstein, B.J. (2010). 50 great myths of popular psychology: Shattering widespread misconceptions about human behavior. New York: Wiley-Blackwell.

Références bibliographiques :

Beyerstein, B. L. (1999). Pseudoscience and the brain: Tuners and tonics for aspiring superhumans. In S. D. Sala (Ed.), Mind myths: Exploring popular assumptions about the mind and brain (pp. 59-82). Chichester, England: John Wiley.

Brehm, J. (1966). A theory of psychological reactance. New York: Academic Press.

Bunge, M. (1984, Fall). What is pseudoscience? Skeptical Inquirer, 9, 36-46.

Dougherty, M. J. (2004). Educating believers: Research demonstrates that courses in skepticism can effectively decrease belief in the paranormal. Skeptic, 10(4), 31-35.

Gilovich, T. (1991). How we know what isn’t so: The fallibility of human reason in everyday life. New York: Free Press.

Gleick, J. (2003). Isaac Newton. New York: Pantheon Books.

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Présentation de l’auteur :

Scott Lilienfeld est Professeur de Psychologie à l’Université Emori à Atlanta (USA). Il est directeur publication de la Scientific Review of Mental Health Practice. Il s’intéresse notamment aux pseudosciences et enseigne depuis plusieurs années comment distinguer science et pseudoscience en milieu académique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont 50 Great Myths of Popular Psychology (2010, avec S. Lynn, L. Namy, et N. Wolf) ou encore Science and pseudoscience in clinical psychology (2004, avec S. Lynn et J. Lohr). En 2005, il a publié dans The APS Observer un article dans lequel il propose 10 commandements à destination des enseignants pour aider les étudiants à distinguer science et pseudoscience, et dont le présent article est une adaptation française. Il nous a fait l’honneur d’accepter d’être publié pour la RePS.

Pour citer cet article :

Lilienfeld, S. O. (2011). Les 10 commandements pour aider les étudiants à distinguer la science de la pseudoscience en psychologie. Revue Électronique de Psychologie Sociale, 5, 23-29.


Retrouvez les 6 Numéros de la Revue électronique de Psychologie Sociale sur :
https://psychologiescientifique.org/ressources/pedagogie/revue-electronique-de-psychologie-sociale/


Mise à jour : Nous nous souviendrons de Scott Lilienfeld, décédé chez lui le 30 Septembre 2020 à 59 ans. Merci Professeur pour votre travail sceptique en faveur de la psychologie scientifique. – Maxime Marty

Une réflexion sur « 10 conseils pour distinguer la science de la pseudoscience »

  1. À propos du troisième commandement et de sa traduction.

    · Voici la traduction proposée par David Vaidis :
    « Lorsqu’il s’agit d’encourager les élèves à penser de façon critique, il faut distinguer deux formes de scepticisme : (1) une approche qui soumet toutes les demandes à l’examen des connaissances dans le but de démêler les propositions vraies des fausses, à savoir un scepticisme méthodologique (scientifique), et (2) une approche qui nie la possibilité de la connaissance, à savoir le scepticisme philosophique. »
    · Voici la version originale de Scott Lilienfeld :
    « When encouraging students to think critically, we must distinguish between two forms of skepticism: (1) an approach that subjects all knowledge claims to scrutiny with the goal of sorting out true from false claims, namely methodological (scientific) skepticism, and (2) an approach that denies the possibility of knowledge, namely philosophical skepticism. »

    (1)
    Traduire « subjects all knowledge claims to scrutiny » par « soumet toutes les demandes à l’examen des connaissances » sonne bizarre et peut être mal compris. Ici deux solutions : la plus littérale « soumet toutes les prétentions de connaissance à un examen minutieux », ou alors utiliser la traduction classique de « claims » dans le milieu sceptique scientifique à savoir « affirmations » et non pas « demandes » : « soumet toutes les affirmations à un examen minutieux ».
    Pour que ça sonne moins lourd même si cela s’éloigne du texte original, on peut éventuellement faire comme David Vaidis et dire « un examen minutieux des connaissances » plutôt que « toutes les affirmations de connaissances », ou alors ne simplement pas écrire « connaissances ».

    (2)
    Maintenant concernant « (2) an approach that denies the possibility of knowledge », on peut éventuellement traduire « denies » par « n’admet pas » plutôt que par « nie », mais le problème vient du texte original, c’est plus complexe que ça et on s’embrouille facilement : pour essayer de ne pas avoir une vision caricaturale du scepticisme philosophique en le confondant avec une opposition à la méthode scientifique, ou du relativisme, je renvoie vers la page Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Scepticisme_(philosophie).

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